« Là-haut, là-bas sur les montagnes
Il y avait des moutons blancs
Viens t-en donc belle rose
Comme tant d'autres avant lui, Kona aurait pu passer totalement inaperçu ou finir oublier de tous. Pourtant, la (première) production du studio Parabole a su emporter l'adhésion de la presse comme celle des joueurs en raison de son cachet et de son habile mélange des genres.
L'enquête de Carl Faubert est particulièrement plaisante à suivre pour bien des raisons. La première tient en la
liberté accordée au joueur. Monter dans sa voiture, chercher sa destination sur la carte, conduire dans des conditions climatiques extrêmes et pouvoir décider à n'importe quel moment de continuer à pied pour couper à travers bois octroie une palette de déplacements étendue à contre-courant des jeux de même catégorie nettement plus dirigistes.
Cette liberté nous place face à nos responsabilités et surtout face à notre solitude : pour que l'on puisse tout faire, il faut qu'il n'y ait personne.
Carl Faubert lui-même se montre convaincant. Méticuleux, rationnel et fin dans ses analyses, ce vétéran de la guerre de Corée s'éloigne de l'archétype du journaliste ou du visiteur extérieur lambda déboussolé par les événements : c'est un détective privé aguerri qui entend bien faire toute la lumière sur les événements survenus dans Manastan. Cette assurance est particulièrement perceptible dans les notes personnelles de Carl et encourage le joueur à faire preuve d'autant de détermination.
Dans ce cadre, la
narration intimiste contribue à créer une forme de complicité entre le joueur et la voix-off de Guy Nadon, à la fois locuteur et interlocuteur des observations et pensées de Carl.
Seul mais pas abandonné, le joueur pourra compter sur les interventions pertinentes de la voix-off pour lui signaler qu'il n'a pas correctement fouillé telle ou telle demeure ou qu'il pourrait être judicieux de chercher un feu de camp pour se réchauffer. L'accent québécois du narrateur achève d'apporter de l'authenticité à une aventure qui, comme nous l'avons vu à plusieurs reprises, s'inscrit pleinement dans les terres du Québec.
Récompensant une exploration qui n'est jamais passive, incorporant des éléments d'une survie rarement punitive et distillant quelques gouttes de surnaturel tolérable même pour les âmes sensibles,
Kona contourne donc l'écueil de la similarité avec d'autres « walking simulator » qui l'aurait congédié au placard des jeux Steam à bas prix.
Et la bergère, celle qui les garde
Elle n'a pas de prétendant
Belle rose du printemps. »
Quelques défauts découlent inéluctablement des points précédemment abordés. Ainsi,
la grande liberté d'exploration engendre une narration parfois décousue : même si toutes les pièces du
puzzle seront assemblées
in fine, certaines transitions sont plus logiques que d'autres. Autrement dit, une route « cohérente » de découverte du village a été pensée au moment de sa conception ; libre à vous d'explorer la maison n°10 avant la maison n°1 mais il sera toujours préférable de visiter les maisons 1 à 9 avant d'entrer dans la dixième. À cet égard, le scénario s'avère quelquefois prévisible. Sans en dire trop, on devine rapidement que la mention récurrente du peuple amérindien cri et de ses légendes ancestrales n'est pas sans rapport avec la colère des éléments qui s'abat sur Manastan.
Un petit point de frustration supplémentaire doit être mis au crédit de
l'ambiance, radicalement différente selon que vous jouez ou non en VR. En non-VR, la visibilité s'élève à environ 15 mètres (10 la nuit) et le joueur doit gérer trois jauges évoquées précédemment : la chaleur, la santé physique, la santé mentale. Les différents objets palliatifs éparpillés dans le village ont par conséquent une utilité et les rencontres occasionnelles avec les meutes de loupe accentuent l'aspect survie du jeu.
En VR, la donne est différente. La visibilité est réduite à 5 mètres (3 la nuit), il n'y a plus de combats et seule la jauge de chaleur doit être surveillée.
D'un côté, l'immersion est renforcée : il est plus difficile de se repérer et l'on ressent avec virulence la force des éléments ;
de l'autre, cette même immersion se trouve amputée de son aspect survie et donne au joueur le sentiment qu'il passe à côté de certaines composantes du jeu.
À quoi bon en effet incorporer des alcools, dont la fonction est d'augmenter votre jauge de santé mentale, s'il n'y a pas de jauge de santé mentale ? Pourquoi ramasser des munitions de pistolet quand vous ne pouvez même pas vous équiper du pistolet qui va avec ?
En VR, une partie conséquente de l'inventaire devient superflue : en fait, tout ce qui n'est pas clé ou ce qui ne concerne pas les feux de camp n'est d'aucune utilité. Si l'on y réfléchit bien, la démarche des développeurs vient à l'esprit : en s'interrogeant sur la meilleure façon de retranscrire le sentiment d'isolement face à la colère de la nature, ceux-ci en sont arrivé à la conclusion qu'il fallait retirer tous les indicateurs susceptibles de distraire le joueur dans sa perdition volontaire. Du strict point de vue de l'ambiance - mémorable en VR - cela fonctionne. Mais lorsque l'on passe à la caisse pour du contenu supplémentaire, on veut en avoir plus, pas moins : or ici, vous perdrez des fonctionnalités.