Quand vient le temps de mettre la main sur ce
Jusant, annoncé comme jeu d’escalade méditatif, on ne sait pas vraiment à quoi s’attendre. En réalité, bien qu’elle soit l’essence même du titre, la grimpette ne représente pas le seul élément de gameplay. C’est ce qui fait la saveur de
Jusant, sa force : ne pas se limiter. Mais le parcours sur les murs de cette
Tour est convaincant et terriblement réaliste, à s’y méprendre. Au milieu des prises et autres aspérités, nous rencontrons des plantes mouvantes grâce à l’écho de notre petit
ballast sur lesquelles nous accrocher, ou bien les
Caillasses, ces petites pierres mobiles qui nous transporteront où nous souhaiterons aller.
Sur ces parois abruptes, l’ascension se fait à l’aide des gâchettes

(pour la main gauche) et

(pour la main droite), à la manière du singe grimpeur dans
Astro’s Playroom. Cela fonctionne à merveille car instinctif, et la difficulté étant croissante, on a le temps d’appréhender le gameplay sans risque le badaboum. On apprend vite à gérer le saut, puis le double-saut ; l’accroche principale de corde puis l’utilisation maline des pitons. On apprivoise son environnement tel un alpiniste chevronné, on utilise les accroches comme si, toutes déjà, nous les connaissions. Que ce soit à l’extérieur ou dans les entrailles de la
Tour, escalader murs et parois a rarement été si grisant dans un jeu vidéo. Sorte de communion entre l’Homme et la nature, équilibre nécessaire à notre quête, son aboutissement.
Jusant n’est pas difficile. Il est impossible de mourir ou d’échouer. La progression est assez linéaire et les rares énigmes n’ont rien de compliqué. Aussi, comme ce fut dit plus tôt, nous sommes là avant tout pour la balade, le voyage. Tenter de retrouver quelque chose que l’on a perdu mais qu’on ignorait. Comme
Bianca, cette ascension, lointaine déjà, nous aura appris à exister dans le présent. Il aura fallu du temps, mais nous avons fini par prendre racine, contre marées et vents. Durant les 6 ou 7 heures que l’on passera sur et dans cette
Tour, nous aurons le temps de nous questionner sur la nature des choses, tout ce qui nous entoure. À nouveau la pluie, la vie à nouveau. Elle se rassemble, grossit les torrents, elle gonfle la terre, plonge dans l’océan. À nouveau la pluie, la vie à nouveau.
On va oublier les rimes un instant pour se livrer personnellement quant à ce
Jusant. Comprenez que l’aventure est relativement courte, relativement simple. Le challenge n’est pas de mise ici, il faut chercher ailleurs. À l’image de notre chère
Bianca, qui nous narre ses péripéties dans son
journal, l’idée de « se retrouver soi-même » prend sens au cours du jeu. On ne sait pas de quoi il s’agit, rien n’est dit. Ce sont les
lettres, les vestiges de ce passé dont on ne sait rien, les fresques ou ces instants de communion avec les coquillages qui nous affranchissent de cette ignorance. Les instants de magie sont nombreux. On se surprend à sourire, à être ému, à sembler heureux.
Jusant me fait beaucoup penser à ces livres pour enfants qu’on leur lit le soir, et qui nous émeuvent : je pense par exemple au
Secret du Rocher Noir de
Joe Todd-Stanton, ou encore à
La baleine qui voulait voir la mer, de
Troy Howell. Ces livres, superbement illustrés qui encrent leurs histoires abstraites on ne sait où, on ne sait quand, mais qui vous happent indubitablement. Il serait malhabile de parler de
Jusant sans évoquer la symbolique écologique, prépondérante à notre époque, et qui trouve là une place centrale, évidente et subtile. Des valeurs qui me parlent et qui sont présentes ici avec élégance et délicatesse. Le rapport que j’ai eu avec
Jusant était étrange : subjugué, déçu, emballé, puis intrigué, perturbé, enchanté. Un enchainement de sentiments, qui fut assez perturbant, mais qui fait, à mon sens, le charme de ce genre d’expériences. À la fois une relation très personnelle avec le jeu, mais aussi une distance qu’il ne faut pas oublier.