Dématérialisation : quel avenir pour nos jeux vidéo ?
Par Troywarrior, le 16-06-17 à 18:49
BUSINESS, CHRONIQUE, PS VITA, PS VR, PS3, PS4
BUSINESS, CHRONIQUE, PS VITA, PS VR, PS3, PS4
Le but de cette chronique n’est en aucun cas la stigmatisation de tel ou tel acteur de l’industrie vidéoludique. Nous ne chercherons ici qu’à apporter un visuel le plus global et le plus objectif possible sur les origines et les conséquences de la dématérialisation depuis son arrivée sur le marché des jeux-vidéo et plus particulièrement sur les plateformes Playstation bien évidemment.
Pour la 1ère fois de leur histoire, les ventes dématérialisées ont dépassé les ventes physiques en 2016 (chiffres SELL). Prenons quelques exemples de principaux Editeurs/Développeurs sur la part que représente le dématérialisé dans leur CA.
La distribution dématérialisée des jeux vidéo est loin d’être une idée récente. Rappelons-nous rapidement que c’est Mattel qui, en 1981, a été le précurseur de la dématérialisation par Playcable. Dédié à sa console, l’Intellivison, ce service permettait aux joueurs de télécharger un jeu sur un adaptateur enfiché dans le port cartouche de la console, via le réseau de la télévision. Le service fermera 2 ans plus tard, devant les résultats catastrophiques (3% des clients potentiels) dus, en partie, au matériel qui ne pourra pas suivre (mémoire de l'adaptateur limitée à 4K de RAM).36 ans plus tard, le marché des ventes numériques sur les consoles de 8e génération dépasse en moyenne 50% du Chiffre d’Affaire des acteurs économiques. Comment expliquer une implantation si rapide dans l’industrie vidéoludique, soit près d'un demi-siècle d'habitudes, et surtout quelles en sont les conséquences ?
SUR LES ORIGINES DU PHÉNOMÈNE ?
Objectivement, l’industrie du jeu-vidéo a toujours été un business avant tout. Avant l’avènement du téléchargement existait le "boomerang business" : achetez un jeu 69,99€ en magasin. Après un, deux ou trois mois, vous l’avez terminé et décidez de le revendre. Votre enseigne vous proposera de le racheter au prix de l'argus et comme le marché est sans pitié, votre jeu ne coûte plus que 20€. Mais pas question de vous donner un billet ou un chèque : on vous offre un bon d'achat. Un bon d'achat à dépenser à demeure, avec date de validité. Un système que certains pourraient qualifier de pervers mais il a été le nôtre pendant des décades (je te vends un objet, que je te rachèterai un quart de son prix pour que tu m'achètes un autre objet). Tout bon capitaliste dirait de faire jouer la concurrence. Impossible: il y a un argus, on vous dit.
UN SYSTÈME PERFECTIBLE MAIS ACCEPTÉ
Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, ce système possédait quand même quelques avantages, notamment pour les joueurs. Pour beaucoup attachés à la matérialité des jeux et à celle de pouvoir vendre ou acheter leurs jeux à des prix non prohibitifs, sans parler des collectionneurs dans l'âme dont le but n'était que de faire grandir leur bibliothèque. Les gamers semblent donc être devenus consommateurs malgré eux d'une offre de dématérialisation créée pour d'autres raisons.
CUI BONO ?
Comme toute bonne entreprise qui se respecte, l'industrie vidéoludique (dans sa majorité) n'a qu'une ligne de conduite : baisser les charges tout en augmentant les ventes. Simple sur le papier, plus technique à mettre en place. Développement mis à part, la distribution d'un jeu peut rapidement devenir un gouffre financier : pressage des supports physiques, transport, rémunération des intermédiaires de la chaîne de distribution, récupération des invendus etc. Comment donc économiser sur cette chaîne au coût non négligeable? La réponse est simple : supprimer le support physique du produit final (entre 3 et 6% d'économie juste pour l'aspect logistique). Mais comment faire?
Les avancées technologiques des 7e et 8e générations n'ont pas été, comme certains le prétendent, la cause de l'avènement du numérique. Elles n'en ont été que son outil indispensable. La nouvelle vague, depuis 2001, des smart technologies (notamment dans le secteur Mobile) sur laquelle les géants de la console ont su intelligemment surfer (le PS Store sera lancé en 2006) semble être une explication plus cohérente.
UNE COMMUNAUTÉ DE JOUEURS DIVISÉE
Une explication, donc, plus sociologique qu'économique. Une nouvelle génération de joueurs, issue des jeux mobiles et bercée par la dématérialisation, crée de facto une nouvelle niche de marché pour les consoles. Problème majeur, l'ancienne génération, elle, ne voit pas d'un bon œil cette numérisation. Disparition de l'aspect " collection " : sans support physique, les joueurs n'ont plus d'objet palpable. Particulièrement lésés lors des sorties de coffrets collectors : les artbooks numériques, OST ou items ingame exclusifs remplacent progressivement les figurines et autres goodies qui constituent l'intérêt même d'une version collector. Exit également la possibilité de prêter, d'échanger entre amis ses jeux et de le revendre en boutique. Ces inquiétudes conservatrices sont moins ressenties par les nouveaux joueurs que par ceux qui ont grandi avec le système de distribution physique et craignent sa disparition.
Les joueurs de longue date (voire certains nouveaux) craignent aussi que ce système entrave leur liberté de disposer de leurs jeux comme ils le souhaitent par l’ajout de mesures contre le piratage tel que le très controversé DRM (Digital Rights Management ou Gestion des droits numériques) par les entreprises.
LES GRANDS GAGNANTS DU TÉLÉCHARGEMENT...
Sans équivoques, les petits développeurs indépendants qui, grâce aux coûts réduits, peuvent plus facilement diffuser leurs créations. Le fait qu'il soit plus facile de toucher un public cible tout en minimisant les dépenses évoquées permet in fine de donner sa chance à chacun. L'exemple le plus parlant est probablement le jeu de construction Minecraft, développé en 2011 par le studio indépendant Mojang, qui a généré plus de 23 millions d'euros de recettes.
Les grands acteurs bénéficient, quant à eux, d'une meilleure gestion logistique : Les éditeurs peuvent revendre n'importe quel jeu, ancien ou nouveau, sans problème de stockage et d'invendus. Il est donc souvent possible de trouver des jeux anciens à la vente à très bas prix, sans que l'éditeur en ait à relancer la production dont les ventes sont incertaines.
...ET LES AUTRES
Actuellement, les principaux acheteurs sont les joueurs dits casual qui achètent plutôt en magasin. Les éditeurs ne peuvent donc pas baisser les prix des jeux dématérialisés sans craindre que les distributeurs ne se sentent lésés et voient leur chiffre d'affaire baisser, et décident de retirer les jeux de l'éditeur de leurs étalages. Le revers de la médaille est sans conteste porté par les magasins de ventes, résistant comme ils le peuvent à ce nouveau marché. En 2009, ils avaient réussi à contrecarrer les plans de Sony en boycottant la PSP Go qui n'offrait que du support numérique (NedGame notamment, un distributeur aux Pays-Bas, avait fait le choix de ne pas distribuer la PSP Go dépourvue de lecteur UMD). En partie à cause de ce boycott, Sony a dû mettre fin à la production de sa console portable en avril 2010, après seulement un an et demi de commercialisation.
Autre acteur que l'on pourrait qualifier de "perdant" : le consommateur. Le terme est sans doute mal approprié car la qualité des productions est certes toujours au rendez-vous. Mais l'ère du numérique a donné naissance à une nouvelle méthode de consommation que les "anciens" ont énormément de mal à accepter. Le fait qu'il soit à présent très simple de proposer une mise à jour pour un jeu (ce qui est, pour le coup, un avantage énorme) a donné lieu à une banalisation du DLC. Ces contenus additionnels, la plupart du temps payants, se rajoutent au prix d'achat d'origine d'un jeu afin d'en augmenter la durée de vie ou d'ajouter des éléments qui susciteront l'intérêt du joueur. On y retrouve pêle-mêle des bouts entier du scénario (avec des dérives, comme Prince of Persia dont la vraie fin était contenue dans un DLC payant), des objets cosmétiques, de nouvelles quêtes, etc… Les abus concernant les DLC sont légion, et semblent s'inscrire dans la mode économique des " micro-transactions ", considérées comme plus rentables depuis que le marché du jeu s'est ouvert à un public plus large. Ce système reste néanmoins vivement critiqué, voire raillé, par une grande partie de la communauté des gamers, notamment par la fameuse "métaphore du cheeseburger" (cf. photo)
Que deviendrait ce juteux business si tous les jeux étaient dématérialisés? Ce n'est certes pas demain la veille que cela arrivera. Beaucoup de joueurs sont encore trop attachés à l'objet physique. En effet, actuellement, l'achat en magasin reste la norme pour le grand public en quête de jeux casual, qui représentent la plus grande partie du chiffre d'affaire des grands éditeurs. Cependant, les générations futures de gamers, qui seront habituées dès le début à la dématérialisation, y opposeront sûrement de moins en moins de résistance (ce qu'on ne connaît pas ne nous manque pas). On peut donc envisager, sans exagérations, un avenir où les consoles de 10e génération (ou plus) ne s'encombreront même plus de lecteur physique de jeu.
Toujours dans cette hypothèse, quid des enseignes de ventes/reventes? Reste-t-il toutefois un espoir pour ce genre de commerces ? Selon Nicolas Berthou, directeur du grossiste de jeux vidéo Innelec Multimédia : "Oui, mais à condition de se diversifier. Les boutiques devront proposer plus de services et élargir leurs gammes de produits : produits dérivés, informatique/électronique, tablettes, bundle d'accessoires...". D'autres, comme Micromania, ont ouvert leur propre plateforme dématérialisée afin de laisser le choix au client. Pierre Cuilleret, directeur de l'enseigne, indique que cette plateforme est devenue la plus grosse source de revenus de l'entreprise.
Une seule chose reste certaine, ce seront nos habitudes de consommation qui détermineront l'avenir de la dématérialisation, et donc l'avenir de nos jeux videos.
"Quand on pense qu'il suffirait que les gens n'achètent pas pour que ça ne se vende plus ! "(Coluche, Misère, 1978).
A bon lecteur...
Sources :
- Financial results EA 2016
- Financial results Activision Blizzard 2016
- Financial results Ubisoft 2016
- Financial results Sony 2016
- SELL
- Agence Française pour le Jeu Video
Mots-clés : Chronique, Dématérialisé, DLC, Dossier thématique, Sony interactive Entertainment, ventes numériques
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Troywarrior (troywarrior)
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